Comité Social d’Administration Rhône/Ain du 14 octobre 2025
Déclaration Liminaire
Monsieur le Directeur territorial,
Notre pays fait face à une instabilité politique, sociale et budgétaire devenue cyclique. Depuis deux ans, les coûts augmentent sans relâche, mais les moyens alloués, eux, stagnent. Cette contradiction nous impose une équation intenable : faire toujours plus, avec toujours moins.
Dans nos structures, cette tension se traduit par une montée du mal-être, une recrudescence des arrêts maladie, et une fatigue morale qui s’installe durablement. Les agents sont épuisés, les équipes fragilisées, et nos missions, pourtant essentielles, sont mises à mal.
Ce sont les jeunes qui en paient le prix fort. Ils subissent les effets d’un système qui vacille, alors même qu’ils devraient pouvoir compter sur nous pour les accompagner, les soutenir, les émanciper.
L’exemple de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Meyzieu est, à ce titre, édifiant. Cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que la situation s’y dégrade. Les droits fondamentaux des mineurs y sont bafoués : absence d’accès au pôle socio-éducatif, conditions de détention indignes, et un isolement croissant. Malgré nos alertes dès le mois de juillet, l’été fut particulièrement complexe. Le 12 août, un point de rupture a été franchi : il n’y avait plus aucun surveillant présent dans l’établissement. Ce vide institutionnel a contraint les éducateurs à endosser, dans l’urgence, des fonctions de l’administration pénitentiaire.
Ce dysfonctionnement grave illustre à quel point l’instabilité institutionnelle ronge les droits des mineurs et met en péril le sens même de notre mission éducative. Il ne s’agit plus seulement d’un manque de moyens, mais d’un abandon progressif de principes fondamentaux.
Par ailleurs, sur le territoire Rhône-Ain, le recours au SAH conjoint (Service associatif habilité) révèle une situation tout aussi préoccupante. L’enveloppe budgétaire dédiée à ce dispositif est extrêmement limitée, alors même que le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Les partenaires sont contraints de jongler avec des moyens insuffisants pour répondre à des besoins croissants et complexes. Cette tension budgétaire fragilise les parcours des jeunes, limite les possibilités d’accompagnement individualisé, et met en péril la continuité des prises en charge.
Le SAH, pourtant pensé comme une réponse souple et adaptée aux situations de rupture, devient un dispositif sous pression, incapable de remplir pleinement ses missions. Les professionnels se retrouvent à devoir compenser les manques structurels par leur engagement personnel, au détriment de leur santé et de la qualité du travail.
Nos services disposent encore de quelques possibilités de mise en stage à la journée au CEPAJ, ce qui constitue une ressource précieuse pour maintenir un lien éducatif et professionnel. Mais nous n’avons plus, ou très peu, la capacité budgétaire de proposer aux mineurs qui le souhaitent une formation qualifiante dans ce cadre. Ce recul est lourd de conséquences : il prive les jeunes d’une opportunité concrète de réinsertion, de valorisation, et d’accès à une qualification reconnue. C’est une perte de sens pour eux, et une entrave à notre mission d’accompagnement vers l’autonomie.
La loi Attal introduit un placement obligatoire pour les jeunes majeurs impliqués dans des affaires de narcotrafic ou de terrorisme, soulevant de sérieuses inquiétudes quant à la sécurité des mineurs et la viabilité des structures existantes.
Un volet de la loi Attal, promulguée en juin 2025, prévoit désormais que les jeunes majeurs concernés par des faits de narcotrafic ou de radicalisation ne pourront plus refuser leur placement dans des structures éducatives ou pénitentiaires spécifiques. Si cette mesure vise à renforcer le suivi et la responsabilisation de ces jeunes, elle interroge profondément sur ses modalités concrètes. En particulier, le risque de cohabitation entre des jeunes de 13 ans et des jeunes majeurs de 20 ou 21 ans dans des Unités Éducatives d’Hébergement Collectif (UEHC) déjà fragilisées est préoccupant. Ces structures, confrontées à des tensions internes, à un manque de personnel et à une perte de repères éducatifs, ne sont pas armées pour gérer une telle mixité d’âge et de parcours, surtout dans des contextes de violence ou de radicalisation.
L’hébergement diversifié pourrait représenter une alternative plus adaptée, en permettant des prises en charge individualisées et sécurisées. Cependant, cette piste se heurte à une autre réalité : la fermeture progressive de ces structures au profit de missions d’Hébergement Diversifié (HD), souvent dotées de deux fois moins de moyens humains et financiers. Cette réorganisation affaiblit la capacité d’accueil et de suivi, tout en augmentant la charge sur les professionnels. Elle compromet la qualité du lien éducatif et la cohérence des parcours, au moment même où les enjeux sécuritaires et sociaux exigeraient des réponses renforcées et sur mesure.
Enfin, la CGTPJJ Centre-Est souhaite rappeler le rôle fondamental des astreintes dans l’organisation territoriale de la DTPJJ Rhône-Ain. L’astreinte, qu’elle soit éducative ou de cadre, constitue un dispositif de veille et de réactivité indispensable au bon fonctionnement des services. Elle doit permettre une réponse rapide et adaptée en cas de difficulté ou de situation critique sur le terrain. Cela suppose que les personnels d’astreinte soient joignables et pleinement mobilisables, avec des rôles clairs et une reconnaissance de leur engagement.
L’astreinte cadre, en particulier, ne peut être réduite à une fonction de report ou de différé de décision. Elle est là pour soutenir les équipes, accompagner les professionnels confrontés à des situations complexes, et garantir une continuité de l’action éducative. Lorsque les agents se trouvent en difficulté, dans l’incapacité de résoudre seuls une situation-problème, l’astreinte doit être un appui, un relais, une ressource. Il est donc impératif que son organisation soit pensée en cohérence avec les réalités du terrain, et que les modalités soient clarifiées, renforcées et respectées.
L’astreinte doit également pouvoir prendre le relais dans des situations très concrètes, comme lorsqu’un collègue, après avoir travaillé de 9h à 17h, doit prendre la route pour accompagner un jeune, parfois à l’autre bout de la France. Ce type de mission, exigeante et imprévisible, ne peut reposer uniquement sur la disponibilité individuelle. Il est impératif que l’organisation de l’astreinte permette une prise en charge réelle, réactive et solidaire, afin de garantir la sécurité du professionnel, la continuité de l’accompagnement du jeune, et le respect des conditions de travail. L’astreinte ne doit pas être un dispositif théorique ou symbolique, mais une ressource opérationnelle, pensée pour soutenir les équipes dans les moments où elles sont le plus exposées.
Nous ne pouvons plus ignorer cette réalité. Il est urgent de reconnaître les limites atteintes, de repenser les priorités, et de redonner du sens à notre engagement. Car derrière chaque indicateur, chaque ligne budgétaire, ce sont des vies, des parcours, des avenirs qui se jouent.
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