Motion Jeunes Majeurs
Rappel historique :
L’abaissement de la majorité civile fixée à 18 ans au lieu de 21 ans en 1974 amène la question de l’accompagnement des jeunes majeurs par les institutions françaises entre 18 et 21 ans. Jusqu’alors, la justice spécifique des mineurs et les dispositions civiles de protection à leur égard s’appliquaient jusqu’à 21 ans par les textes et de manière consensuelle. Dans ce contexte, le Décret n° 75-96 du 18 février 1975, fixant les modalités de mise en œuvre d’une action de protection judiciaire en faveur de jeunes majeurs, est adopté afin de combler le vide juridique provoqué par le passage de la majorité de 21 à 18 ans.
L’article 1 de ce décret toujours en vigueur dispose : « Jusqu’à l’âge de vingt et un ans, toute personne majeure ou mineure émancipée éprouvant de graves difficultés d’insertion sociale a la faculté de demander au juge des enfants la prolongation ou l’organisation d’une action de protection judiciaire. Le juge des enfants peut alors prescrire, avec l’accord de l’intéressé, la poursuite ou la mise en œuvre, à son égard, d’une ou de plusieurs des mesures […], dont il confie l’exécution soit à un service ou établissement public d’éducation surveillée, soit à un service ou établissement privé habilité ». L’article 4 de ce même décret précise que « Les dépenses non supportées par le bénéficiaire de la mesure […] sont imputées sur le budget du Ministère de la Justice ».
Parallèlement et dans cette même logique, le contrat jeune majeur à la charge des départements est instauré afin de poursuivre l‘accompagnement de milliers de mineurs devenus subitement majeurs.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Comme le rappelle Christophe DAADOUCH (juriste et formateur) « Jamais les jeunes majeurs n’ont été autant en difficulté d’insertion professionnelle, d’accès au logement […] » qu’aujourd’hui.
Pour autant, bien que le décret du 18 février 1975 n’ait été ni abrogé, ni modifié, la Protection Judiciaire de la Jeunesse se désengage de la prise en charge des jeunes majeurs depuis grand nombre d’années déjà ! Dans son article intitulé « Le contrat jeunes majeurs : mythe et réalité »
Pierre Verdier avocat spécialisé dans le Droit de l’enfant rappelle la chronologie de cet abandon institutionnel, traduit de manière budgétaire. A la suite d’une circulaire DPJJ du 21 mars 2005, les crédits alloués par la PJJ au secteur associatif pour la prise en charge des jeunes majeurs passent de 114 millions d’euros en 2005 à 58 millions d’euros en 2007 et à moins de 16 millions d’euros en 2009.
Dans le cadre du recentrage au pénal des missions de la PJJ, le budget 2010 poursuit la diminution du financement de la prise en charge des jeunes majeurs par la PJJ, avec pour objectif cible l’extinction de ce dispositif à la fin de l’année 2011. Parallèlement, une note du directeur de la PJJ du 19 janvier 2009 recommande à ses directeurs interrégionaux de ne plus habiliter les établissements et services du secteur associatif au titre du décret du 18 février 1975 et ce malgré la permanence du décret. Si la note d’orientation de la DPJJ du 30 septembre 2014 prévoit une légère inflexion politique permettant « à la marge » la poursuite de l’intervention en assistance éducative ou dans le cadre d’une protection jeune majeur par les services de la protection judicaire de la jeunesse, « lorsque c’est le seul moyen d’assurer la continuité du parcours »
l’application de cette note n’est jamais traduite budgétairement.
Les conséquences sur le terrain
Sur le terrain, on ne compte plus les freins pour ne pas dire les oppositions de notre Administration à l’application du décret de 1975 à destination des jeunes majeurs. Cela passe par des refus catégoriques de certaines DT à financer la mise en œuvre de ces décisions, par l‘obligation de solliciter une autorisation préalable auprès de la DT avant de transmettre la demande au magistrat, autrement dit « comment être calif à la place du calif ! ». Le plus souvent, afin de permettre la poursuite du travail engagé auprès de ces jeunes dont la vulnérabilité ne fait aucun doute, les professionnels sont contraints de solliciter, lorsque la situation
pénale du jeune le permet, une Mise Sous Protection Judiciaire (MSPJ), autrement dit une condamnation pénale pour ne pas abandonner le jeune à ses difficultés !! Si l’objectif peut être « honorable », nous assistons et participons malgré nous, au dévoiement scandaleux de la MSPJ et par conséquent de la Loi ! Rappelons que cette condamnation implique une inscription sur le bulletin numéro 1 du casier judiciaire !
Dans la même lignée, en milieu ouvert, l’Administration nous demande « d’opérer un tri » parmi les jeunes majeurs pour lesquels la poursuite de l’accompagnement au sein de notre Administration se justifie ou pas ! La seconde option étant la plus souvent privilégiée. Quid du respect des décisions judiciaires ordonnées par les magistrats et confiées à la PJJ. Quid de la continuité du parcours. Sur certains territoires, des décisions hiérarchiques actent sans préavis du transfert vers le SPIP des mesures des jeunes âgés de plus de 19 ans (en réalité, on ne parle plus de jeunes mais d’activités) !
Le sens de l’intervention éducative est remis en cause. Les professionnels doivent batailler et argumenter toujours plus afin de conserver la prise en charge des jeunes majeurs ! Les Responsables d’Unités Éducatives sont pressurisés et tiraillés entre la nécessité de prendre en charge les jeunes placés sur liste d’attente et la poursuite de nos missions envers les jeunes majeurs.
De plus, la mise en place récente de la note d’adaptabilité et par déclinaison du Suivi Individuel de Prise En Charge (SIPEC) qui consiste en un tri des mineurs et majeurs suivis par les services de milieu ouvert de la PJJ en fonction de leur « assiduité » dans le suivi, impacte directement les jeunes majeurs qui sont très vite identifiés comme une variable d’ajustement de l’activité.
En hébergement, certains jeunes sont mis à la porte de nos foyers le jour de leurs 18 ans ! En guise de « bon anniversaire » et de bienvenue « dans le monde des adultes », ils se retrouvent totalement livrés à eux-mêmes, parfois même à la rue ! Contraints de solliciter le 115, le Samu social, les centres d’hébergement d’urgence, ils sont ainsi plongés dans la précarité. Alors qu’une étude publiée le 31 janvier 2018 par l’INSEE atteste que 46 % des jeunes français âgés de 18 à 29 ans vivent toujours dans le nid familial, la PJJ demande aux plus vulnérables d’entre eux de se débrouiller seuls !
Nous ne pouvons pas décemment aborder les difficultés des jeunes majeurs sans nommer l’abandon des jeunes majeurs isolés étrangers sur notre territoire. Sans famille ni lien sur le territoire français, ils sont abandonnés à leur sort, quand ils ne sont pas reconduits à la frontière et/ou cueillis par la PAF en sortie de détention !
A ce contexte unanimement partagé, s’ajoute la situation dramatique des jeunes majeurs pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) en assistance éducative. Au-delà de la remise en cause du contrat jeune majeur qui devient une mesure facultative qui souffre des restrictions budgétaires, et des disparités territoriales, l’esprit même du contrat jeune majeur est à questionner. En effet, comme le rappellent Nathalie Guimard et Juliette Petit-Gats dans leur ouvrage , la signature d’un contrat jeune majeur exige de jeunes adultes particulièrement fragilisés et insécurisés par des parcours souvent douloureux et emprunts de nombreuses ruptures, qu’ils fassent les preuves, plus que tout autre jeune, de leurs capacités à se projeter, à formuler des objectifs de vie et à démontrer leur détermination.
La CGT-PJJ DÉNONCE :
- L’abandon institutionnel des jeunes majeurs par la PJJ
- L’absence de réflexion et d’élaboration à un niveau institutionnel concernant la situation des jeunes majeurs
- La pressurisation des personnels éducatifs et des cadres de proximité en matière de liste d’attente en lien direct avec la prise en charge des jeunes majeurs
- Le manque de structures adaptées à la prise en charge des jeunes majeurs
La CGT-PJJ EXIGE :
- L’application de la Loi quant à la prise en charge des jeunes majeurs
- L’autonomie pédagogique des professionnels concernant l’orientation à donner à l’accompagnement des jeunes majeurs
- Le financement des Protections Jeunes Majeurs
- La création des moyens nécessaires à l’accompagnement de tous les jeunes majeurs pour lesquels une décision judicaire confiée à la PJJ est ordonnée
- Le maintien de la double mesure ASE / PJJ lorsque la situation du jeune le nécessite
- Le renforcement et la sécurisation des dispositifs existants type UEHD, UEHDR…
- La création de nouveaux dispositifs adaptés à la prise en charge des jeunes majeurs
- Le retour à la compétence civile de la PJJ