L’heure du bilan a sonné ! Lettre ouverte à Mme NISAND, Directrice de la PJJ

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Madame la Directrice,

À l’heure où vous quittez enfin vos fonctions à la tête de la direction de la PJJ, la CGT PJJ vous adresse cette lettre ouverte. Non pour saluer votre passage que d’aucuns qualifieront de « maîtrisé », faute d’en percevoir les effets sur le terrain, mais pour exprimer ce que ressentent aujourd’hui nombre de professionnels : colère, lassitude et incompréhension. C’est aussi l’occasion pour la CGT PJJ de faire l’inventaire des dossiers en cours.

Dès votre prise de fonctions, la CGT PJJ vous avait pourtant sollicitée afin d’obtenir votre lettre de mission, dans un souci élémentaire de transparence. Contrairement à vos prédécesseurs, vous avez choisi de ne pas la transmettre. Avec le recul, ce refus prend tout son sens : cette lettre devait probablement traduire des objectifs difficilement assumables. En tout cas, après presque trois ans à ce poste, vous avez tout dégradé : réduction des dépenses, maîtrise des effectifs, mise en scène de réformes sans fond, dérive managériale ou encore affaiblissement du dialogue social.
Votre conception du dialogue social se réduit à une simple information des organisations syndicales.
Les échanges constructifs s’appauvrissent, les propositions syndicales ne sont pas entendues et la négociation ne trouve plus aucune place dans ce monologue social. L’avis des organisations syndicales, lorsqu’il est sollicité, n’est pas suivi par vos services. Toutes les dernières audiences l’ont clairement établi. Si la consultation est organisée, c’est uniquement pour faire illusion et pour pouvoir cocher la case du dialogue social.
Votre passage en force lors du dernier CSA de la PJJ sur la charte de déontologie et sur la déconcentration des sanctions disciplinaires du 1er groupe, malgré un vote défavorable de toutes les organisations syndicales, constitue à notre sens la révoltante illustration de vos méthodes.

Pourtant, refuser d’écouter les représentants du personnel, c’est refuser d’entendre les personnels eux-mêmes. Ce choix du silence et d’un management vertical a contribué à nourrir les tensions et un profond sentiment d’abandon de nos missions de service public.

Le droit syndical est bafoué, vos engagements ne sont pas respectés et, qu’il s’agisse de droit syndical ou de droits des agents, vous ne prenez même pas la peine de respecter les textes.

Pour illustrer, nous pouvons évoquer l’application de la NBI, la gestion RH et le non-respect des règles statutaires en matière de mobilité, ou encore les procédures en matière de droit d’alerte. C’est inacceptable de votre place et eu égard à votre statut de magistrate.
Dès son congrès de 2023, la CGT PJJ a souhaité mettre en lumière le déficit d’attractivité croissant de nos métiers, documenté dans ses orientations syndicales issues du terrain. Ces alertes, pourtant claires et construites, n’ont jamais été écoutées. Pire encore : à l’été 2024, vous avez fait le choix de supprimer massivement des postes de contractuels, dans une logique purement comptable au détriment de l’humain et des missions. Ce plan social déguisé, unanimement dénoncé par les organisations syndicales, largement relayé dans la presse et par les parlementaires, a aggravé la situation de la PJJ tout en confirmant une constante : le refus de dialogue et l’aveuglement face à l’état réel des services.

C’est dans ce contexte de crise qu’a émergé un plan d’action intersyndical

Ce plan est animé par la volonté de redresser la barre : recruter des titulaires, fidéliser les professionnels engagés dans nos missions, redonner du sens à l’action éducative et renforcer le dialogue social. Ce plan, pourtant urgent et indispensable, est aujourd’hui au point mort sur le plan syndical, tandis que l’administration semble poursuivre seule, un projet parallèle empreint de logique libérale : suppression de postes statutaires, dégradation des conditions de travail, culture du chiffre, fragmentation des collectifs et précarisation de l’emploi. Or, le recours aux contractuels, sans vision pérenne, affaiblit les services. Il ne s’agit pas d’opposer statuts et contrats, mais de rappeler qu’un service public repose sur des agents indépendants, stables, formés et reconnus. Mais cela vous le savez très bien.

Parallèlement, le management vertical et autoritaire s’est intensifié instaurant un climat délétère dans de nombreux services

La CGT PJJ ne compte plus les agents soumis à des recadrages autoritaires, à des pressions hiérarchiques constantes, voire traduits devant des conseils de discipline. Cette politique de tension permanente alimente un climat de peur et de repli, aux antipodes des valeurs de confiance et de responsabilité que devrait porter notre institution. Ce n’est plus une défaillance : c’est une stratégie de découragement alors qu’il faudrait fidéliser celles et ceux qui tiennent encore debout la PJJ. Or, rien n’indique que cette volonté existe. Et cela interroge : s’agit-il d’un sabotage organisé ?

Le traitement du dossier pénibilité en est un symptôme.

À l’initiative de son ouverture, la CGTPJJ déplore que l’administration réduise cette question au seul travail de nuit, dans des conditions ultra-restrictives, en ignorant délibérément d’autres critères légaux comme les horaires décalés en semaines successives. Cette approche technocratique occulte la réalité des publics, de la charge mentale et de l’usure professionnelle.

Les grandes ambitions en matière de placement et d’insertion ont été lamentablement laissées à l’abandon.

Après des États Généraux du placement et mission insertion en grandes pompes, les préconisations ne sont toujours pas appliquées, voire vous les remettez en cause et vous revenez sur les engagements pris. Pour les hébergements, pas de présence systématisée d’infirmiers dans les structures, pas de doublure des nuits, pas de création d’un corps de surveillant de nuit mais en revanche vous poursuivez toujours à défendre l’esprit répressif des CEF, alors que tout démontre que cela est coûteux et souvent inefficace. Pour l’insertion, les créations d’UEAJ annoncées périclitent au fur et à mesure faute d’ambitions et de moyens, sans parler de l’existant. La détention doit toujours faire plus dans des conditions complexes et bien évidemment au service de l’administration pénitentiaire. Et que dire du milieu ouvert qui va plus que mal, pour lequel vous n’avez rien mis en place de concret malgré les alertes, pire vous avez laissé faire la destruction progressive du principe de la primauté de l’éducatif avec la loi Attal.

La CGT PJJ continue de dénoncer les effets délétères des lignes directrices de gestion, issues de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019.

Leur mise en œuvre à la DPJJ a conduit à la généralisation du profilage des postes, favorisant trop souvent des pratiques de népotisme et d’entre-soi incompatibles avec les principes d’égalité et de transparence dans la fonction publique.
Vous n’êtes certes pas à l’origine de ce cadre légal, mais vous, et votre sous-directeur des ressources humaines et des relations sociales, l’avez appliqué avec un zèle technocratique, sans jamais chercher à en limiter les effets délétères sur les services. Dans le même temps, les organisations syndicales ont été écartées de tout droit de regard sur les mobilités et l’avancement, privant ainsi nos collègues de toute transparence. C’est un recul démocratique majeur.

La baisse des normes de prise en charge éducative n’est toujours pas actée, malgré des groupes de travail engagés depuis plus d’un an.

Aujourd’hui, elles ne tiennent plus compte de la réalité de la charge de travail comme c’est largement dénoncé par les professionnels dans le cadre des questionnaires envoyés par l’administration. L’attente d’un abaissement des seuils est légitime, mais l’administration semble traîner délibérément, et donne le sentiment de gagner du temps plutôt que d’assumer ses responsabilités. Là encore, le silence fait office de politique.

L’année 2024 a confirmé, une fois de plus, l’effacement de la PJJ dans les arbitrages budgétaires du ministère.

Alors que d’autres directions ont bénéficié de mesures catégorielles et indemnitaires, la PJJ a été oubliée, sans le moindre effort sur le pouvoir d’achat. Ce silence n’est pas neutre et traduit ce que nous déplorions depuis des années, une incapacité chronique à faire entendre la voix de notre administration, y compris sur des enjeux fondamentaux. À aucun moment, vous n’avez semblé vous imposer dans ce débat. La PJJ continue de se montrer timorée, marginalisée, et incapable d’affirmer son importance auprès du ministre. Et ce sont, encore une fois, les jeunes pris en charge et les professionnels qui en paient le prix.

Le dossier de la NBI reste dans une impasse inacceptable.

Depuis plusieurs années, la CGT PJJ milite pour une application stricte et cohérente du droit en la matière. Et pourtant, la gestion administrative demeure chaotique : les agents sont livrés à eux-mêmes, contraints d’engager des recours individuels pour faire valoir leurs droits. Il en résulte de fortes inégalités de traitement, entre ceux qui gagnent devant les tribunaux, ceux qui perdent, et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas entamer une démarche contentieuse. Plutôt que de reconnaître vos torts, vous vous êtes obstinée à contester devant les juridictions les décisions favorables aux agents, y compris lorsqu’elles confirmaient le droit existant. Cette stratégie d’épuisement des recours, au mépris de la jurisprudence constante, en dit long sur l’attitude réelle de la DPJJ face à ses obligations. Et lorsqu’une administration choisit de défier le droit, elle ne se contente pas d’abandonner les agents : elle affaiblit l’État de droit et ses principes. Ce type de pratiques, persistantes et assumées, renvoie à des logiques bien plus autoritaires, que la CGT PJJ combattra toujours avec fermeté.

Sur chacun des grands sujets que nous avons évoqués : attractivité, mobilité, pénibilité, encadrement, dialogue social, normes de prise en charge, pouvoir d’achat, ou encore NBI, la CGT PJJ a
toujours été présente, constructive, force de propositions concrètes, claires et transparentes.

Nous n’avons jamais été dans le registre du blocage, mais bien dans celui de la contribution active à la défense et à l’avenir de notre service public.
Pourtant, ces propositions ont été trop souvent ignorées, mises de côté ou diluées, dans une gestion technocratique et verticale, sourde aux réalités du terrain. Cela a été votre choix, un choix dommageable.

Votre mandat qui s’achève laissera l’impression d’un rendez-vous manqué. Une direction qui n’a pas su, ou pas voulu, incarner ce que la PJJ aurait mérité dans une période politique particulièrement instable, où nos missions éducatives ont été la cible des dérives populistes (par la loi Attal par exemple), alors qu’elles auraient mérité vision, courage, écoute des professionnels et engagement.

Certes, l’enjeu dépasse notre seule administration : dans un climat où les tentations autoritaires se banalisent, où les idées d’extrême droite s’assument sans complexe, et où le recul démocratique gagne du terrain, il est néanmoins urgent que la DPJJ défende ses valeurs historiques, celles qui ont contribué à son existence et à penser l’éducation de manière progressiste : une justice des mineurs fondée sur l’humain, la prévention et l’émancipation.

Enfin, nous formons le vœu que la personne appelée à vous succéder soit porteuse d’une connaissance fine de nos métiers, de nos valeurs éducatives et humaines, et surtout d’une réelle volonté de redonner souffle et sens à une institution aujourd’hui très fragilisée et mise à l’épreuve quotidiennement.

La CGT PJJ, fidèle à ses valeurs, continuera à défendre un service public juste, humain et porteur de sens.

Pour l’UNS CGT PJJ
Josselin Valdenaire
Secrétaire général